vendredi 20 mars 2020

La médecine au temps de Molière


 

Les études

Après avoir été reçu maître es arts – ce qui assurait que l'étudiant connaît le latin – il s'inscrit à la faculté de médecine de Paris, à condition d'être catholique. Les droits d'inscription sont très élevés, sauf pour les fils de médecin, si bien que les étudiants exercent parfois d'autres métiers pour financer leurs études. La faculté commence à 6 heures : on écoute des bacheliers qui répètent leurs leçons de la veille. Les cours traitent d'anatomie, de physiologie, d'hygiène, de diététique, de pathologie, de thérapeutique, de botanique (pour connaître les plantes dont sont constitués les médicaments). Il n'y a pas de travaux pratiques : au cours d'anatomie, un barbier-chirurgien (métier méprisé) dissèque un mort (un condamné à la peine capitale) pendant que le professeur disserte.

La pratique


Depuis l’Antiquité, le diagnostic des médecins s’appuyait sur l’auscultation du pouls, l’étude de la fièvre, l’observation de la langue, des urines et des selles. Le sommeil et l’appétit du malade sont également interrogés. À l’époque de Molière, les remèdes sont essentiellement constitués de potions ou ¨simples¨ plus ou moins exotiques (valériane, casse, séné…) ou d’autres drogues étranges à base de poudre de pierres précieuses, de crâne, de sang, d’urine ou d’estomac d’animaux.
Parce qu'on part du principe que les maladies proviennent d’excès ou de déséquilibres des ¨humeurs¨ dont il faut évacuer le trop plein, les traitements sont réduits à des saignées, à des clystères (lavements) ou encore à des purges.

La théorie des quatre humeurs


Au XVIIe siècle, la médecine repose encore sur des théories élaborées durant l'Antiquité : on croit à la théorie des quatre humeurs (« liquides ») : le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire. On pense que la santé repose sur l'équilibre de ces quatre humeurs. Tout déséquilibre entraîne des « sautes d'humeur » ou menace la santé. Pour rétablir l'équilibre, c'est-à-dire pour soigner le patient, on pratique des saignées (écoulement du sang), des purges (des diarrhées provoquées), des lavements ou des régimes. Ces pratiques ont évidemment pour conséquence d'affaiblir le malade.
D'ailleurs, l'espérance de vie moyenne est très brève : 25 ans en moyenne. Cela ne signifie pas pour autant que la plupart des gens meurent à 25 ans ; ce chiffre est dû à une forte mortalité infantile (beaucoup d'enfants meurent avant d'avoir eu 1 an). Les épidémies (la peste, le choléra...), les maladies qu'on ne sait ni soigner par les antibiotiques ni les vaccins et les famines (généralement dues à une augmentation des prix, la « cherté ») provoquent de nombreux décès.

Médecins et chirurgiens


La science médicale a longtemps été empêchée dans ses progrès par les difficultés faites aux médecins désireux de disséquer des cadavres humains. C'est pourtant le moyen idéal de comprendre le corps humain et son fonctionnement. Au temps de Molière, les médecins, qui se risquent à étudier l'anatomie, doivent trouver des cadavres – parfois en les volant. Dans les faits, l'étudiant devenu médecin n'a appris son métier que dans les livres et n'a aucune pratique. En revanche, le chirurgien n'est pas un médecin : il traite les plaies, incise les abcès, etc. La chirurgie obtiendra d'ailleurs des résultats auxquels les médecins ne sont pas parvenus (en sauvant Louis XIV par exemple).

Molière et la médecine


La médecine est un thème que l'on retrouve dans de nombreuses pièces de Molière, qui se moque de cette « science » impuissante à soigner le malade. Il raille également les pratiques de son temps : savoir le latin, dire des choses compliquées et imposer des remèdes inefficaces voire néfastes. À travers les pitreries de Sganarelle dans Le Médecin malgré lui, il se moque de ces médecins et de leur prétention, des grands airs qu'ils se donnent. 
Il faut dire que le personnage du médecin prête à rire avec sa grande robe noire, sa fraise et son chapeau pointu. « Rien de plus ridicule qu'un homme qui veut se mêler d'en guérir un autre ! » Cette formule de Molière (dans Le Malade imaginaire) suffit à elle seule à résumer l'image que l'on a des médecins au XVIIe siècle. On préfère souvent à leurs discours théoriques les bons vieux « remèdes de bonnes femmes » préparés à base de plantes (les « simples ») chez les apothicaires, ancêtres des pharmaciens. D'après le frère d'Argan, « presque tous les hommes meurent de leur remède et non de leur maladie ». En fait, Molière inscrit son œuvre dans une idée très en vogue aux XVIe et XVIIe siècles : il vaut mieux laisser faire la nature en toute chose. Il développe donc une extrême méfiance à l'égard de la médecine, méfiance entretenue tout au long de sa carrière mais ses attaques contre la médecine et les médecins seront de plus en plus virulentes à mesure qu'évoluera sa propre maladie, une maladie qui progresse rapidement et pour laquelle la médecine s’avérera totalement inefficace. La maladie – certains pensent qu’il s’agissait de la tuberculose peu ou pas connue alors – l’emportera, à 51 ans, au soir de la quatrième représentation du Malade Imaginaire, le 17 février 1673.

Et pourtant...


Le génie de Molière ne doit pas nous faire oublier que le XVIIe siècle fut aussi une époque de progrès médicaux fulgurants, aussi bien sur le plan social que scientifique ! Cette période est marquée, en médecine comme ailleurs, par l'avènement de la raison. Les croyances anciennes sont battues en brèche et les esprits de ce siècle n'accordent foi qu'à ce qui se vérifie, s'analyse et se palpe. La plus grande découverte de ce siècle est, à n'en pas douter, celle de la circulation du sang par Harvey en 1628. Certains médecins (comme Diafoirus père et fils !) s'élèvent contre la théorie d'Harvey et ses adeptes « circulateurs », mais la vérité s'imposera, notamment grâce à Louis XIV qui, en 1672, chargera Dionis d'enseigner cette théorie en France. La découverte d'Harvey sera complétée par la mise en évidence des vaisseaux lymphatiques puis par la découverte du circuit lymphatique. Parmi les grandes découvertes de ce siècle, on peut citer le microscope, les transfusions de sang (dont la couleur rouge est enfin expliquée), ou le forceps.
Les hôpitaux se développent pour héberger les pauvres et les infirmes. L'hôpital Saint-Louis voit le jour à Paris à l'initiative d'Henri IV, et Louis XIV décide la création dans les grandes villes d'un hôpital général pour les mendiants, les invalides et les prostituées. Par ailleurs, Théophraste Renaudot développera les consultations gratuites pour les pauvres. Les premiers journaux publiant des articles médicaux sont créés.
Il faudra cependant attendre la fin du XVIIIe siècle pour que les scientifiques et médecins prennent enfin conscience des vertus de l'hygiène et de la propreté. Ce sera, bien avant l'arrivée des vaccins et des antibiotiques, le premier et principal facteur d'allongement de l'espérance de vie et du bien-être.

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