Si ce n'est pas déjà fait, regarde la pièce.
Puis, lis le texte qui suit. Il s'agit d'un fabliau du Moyen-âge, une petite histoire comique destinée à être jouée dans des spectacles de rue. Tu te rappelles sans doute que la farce médiévale était une des sources d'inspiration de Molière...
Le vilain mire
Au Moyen-âge,
un « vilain » est un paysan libre. Le mot mire
signifie médecin.
Il y avait jadis un paysan fort riche,
travailleur, mais très près de ses sous, avide. Par tous les temps
il attelait ses deux chevaux et partait avec eux cultiver ses champs.
Bien sûr il avait tout le pain, toute la viande, tout le vin qu'il
fallait, – mais pas de femme. A ses amis qui l'en blâmaient il
répondait : « Trouvez m'en une bonne, je me marie tout de suite. »
Ses amis un jour le prennent au mot : ils lui en trouveront une,
disent-ils, la meilleure qui soit.
Or, dans le même pays, vivait un
chevalier veuf et qui avait une fille fort belle ma foi, et
distinguée ; c'était seulement l'argent qui leur manquait. Les
filles sans dot attendent longuement leurs noces, m'a-t-on dit. En
tout cas le chevalier n'arrivait pas à trouver un mari pour la
sienne, malgré toutes ses qualités.
La dot
est la forte somme d'argent que la famille de la jeune mariée devait
verser à son futur époux.
Les amis du paysan, qui le savaient,
allèrent le trouver, lui firent un beau portrait de leur compagnon
et de ses richesses en or, en argent, en beau linge, et le père
accepta. La fille, qui était obéissante et qui n'avait plus sa
mère, hélas ! n'a pas osé dire non ; elle ne voyait pas ce qu'elle
pouvait faire d'autre. Le paysan, lui, une fois la lune de miel
terminée, vite terminée, se demanda s'il n'avait pas fait une très
mauvaise affaire en épousant ainsi une fille de chevalier ! Il
fallait bien qu'il continue de travailler aux champs s'il voulait
rester riche, et pendant ce temps-là, pendant qu'il serait à la
charrue, loin de la maison, sa dame sans doute y ferait rentrer les
damoiseaux, jours de travail comme jours de fête ; le curé
viendrait la cajoler, matin et soir... Bref le paysan était jaloux.«
Je suis marié, se disait-il, c'est fait ; le repentir (les
regrets) ne sert à rien... Mais je peux me défendre
d'avance, contre tout ce qu'elle pourrait faire ! Si je la bats tous
les matins, elle pleurera tellement toute la journée pendant que je
serai aux champs que personne ne pourra plus même penser à lui
conter fleurette... Et tous les soirs, quand je reviendrai, je lui
demanderai pardon, je la consolerai... »
Il se résout à cela, le vilain ! Le
lendemain, de bonne heure, aussitôt qu'ils ont mangé le pain, le
fromage, les œufs à la poêle, aussitôt qu'elle a débarrassé la
table, de sa grosse main il lui allonge d'énormes gifles qui
laissent la trace des doigts sur les joues, il la saisit par les
cheveux et il la bat, la bat, tout comme si elle l'avait mérité.
Puis il court à ses champs. Il l'avait bien prévu, sa femme pleure
; elle pleure sur sa mère morte, hélas ! Elle se maudit d'avoir
accepté un pareil mariage : « Est-ce que j'allais mourir de faim ?
Pourquoi n'ai-je pas dit non à mon père qui me livrait ? » Toute
la journée elle se lamente. Et le paysan, le soir, quand il revient,
se jette à ses genoux : « Ma femme, ma douce, pardon, pardon ! Le
diable m'avait tourné le sang. Je suis coupable, je suis triste.
Toute la journée j'ai pensé à vous. Jamais plus je ne vous
battrai. » Il lui en conte tellement que la dame lui pardonne. Elle
prépare un bon repas, ils le mangent ensemble, et ils s'en vont
coucher en paix...
Mais le lendemain matin, même
tintamarre que la veille. Le paysan la rosse à la volée avant de
partir à sa charrue. Cette fois la femme se dit tout en pleurant : «
Pas possible, il ne sait pas ce que c'est que d'être battu, il ne
l'a sûrement jamais été. S'il savait ce que c'est, il n'agirait
tout de même pas en pareille brute. »
Et voilà que passent sur le chemin
deux messagers du roi montés sur des chevaux blancs. Ils saluent la
dame et lui demandent, si elle veut bien, à se restaurer et se
reposer un peu chez elle : ils sont fatigués.
« Volontiers, messires, voici du
pain, du fromage et du vin. D'où êtes-vous donc, si je puis savoir
? Vous cherchez quelque chose ?
– Le roi nous envoie chercher un
médecin, nous devons passer en Angleterre.
– Pourquoi en Angleterre ? dit la
dame.
– Il faut un très grand médecin. La
fille du roi est malade. Depuis huit jours elle ne peut plus ni
manger ni boire, une arête de poisson lui barre et lui bouche le
gosier. Le roi nous a comm...
– Les bons médecins ne sont pas tous
au loin, répète la dame. Mon mari s'y connaît pour les humeurs ;
je crois qu'il est aussi savant qu'Hippocrate.
– Vous voulez rire !
-– Oh ! non, fait-elle, je n'ai guère
coeur à rire... Mais c'est vrai qu'il est drôle, je vous préviens.
Il est fait de telle sorte, il est si paresseux qu'on n'obtient rien
de lui si on ne le bat pas.
– Vous dites ?
– Ce que j'ai dit. Il faut le battre
pour qu'il accepte de vous soigner.
– Comme c'est curieux !
– C'est curieux mais c'est tout de
même commode. Il guérit fort bien les malades quand il a été
battu.
– Bon ! ... Soit ! ... Bon ! ... On
n'oubliera pas... Vous pouvez nous dire où il est, à cette heure-ci
? »
Elle l'indique, ils y courent, ils le
saluent de par le roi, ils lui ordonnent de venir avec eux.
« Pour quoi faire ?
– Parler au roi.
–Pour quoi faire ?
– Faire le médecin. Le roi a besoin
de vous et nous sommes venus vous chercher. »
Le paysan leur dit de le laisser
travailler en paix, qu'ils sont fous, qu'il n'est pas du tout médecin
et qu'il n'ira pas.
« Tu sais bien qu'il faut d'abord
faire quelque chose, dit l'un des messagers.
– Eh bien, allons-y. »
Ils prennent chacun un bâton et ils le
battent de haut en bas, de bas en haut, jusque par-dessus les
oreilles et par dessous le bas du dos. C'est le paysan qui ressent
les coups, cette fois ! Il cède et il a honte ; les messagers
l'entraînent au palais du roi. Il doit marcher à reculons entre
leurs chevaux blancs, la tête basse.
« Alors, vous avez trouvé
quelqu'un ? demande le roi quand ils arrivent à la cour.
– Le voici, Majesté »,
répondent-ils ensemble.
Le paysan a peur. Il les entend
raconter au roi que c'est un très grand médecin, affligé seulement
d'un très grand défaut, une paresse honteuse, mais que si on le bat
comme il faut, il révèle des dons admirables...
« Jamais entendu parler d'un
médecin pareil, dit le roi. Mais essayons. Qu'on me le batte !
– J'y suis tout prêt, dit un
sergent.
– Attendez, dit le roi, vous avez
tout de même trop de hâte, je vais d'abord lui offrir de le
payer. »
Il s'adresse au paysan : « Voici,
Maître. Si vous voulez, je vais envoyer chercher ma fille. Je veux
absolument qu'elle guérisse. Combien demandez-vous pour me la sauver
?
– Sire, de par le Christ qui jamais
n'a menti, je ne suis pas médecin, je vous le jure, je ne sais rien
de la médecine, je ne peux pas la guérir.
– Qu'on me le batte », dit le
roi.
Les sergents s'en acquittent
volontiers, et fort bien. Mais quand le paysan, une nouvelle fois,
ressent lui-même ce qu'il a fait ressentir à sa dame, il se trouve
fou de le supporter.
« Grâce, grâce, cria-t-il. Je
vais vous la guérir.
– À la bonne heure », dit le
roi.
La jeune fille était déjà dans la
salle, pâle et blême. Il fallait la guérir donc, ou, mourir !
Mieux valait tout de même la guérir, essayer au moins. Le vilain,
tout suant, réfléchissait tant qu'il pouvait : l'arête n'est pas
dans le corps, elle est dans le gosier. Si donc j'arrive à faire
rire la fille, l'arête remontera peut-être... Il dit au roi : « Que
l'on fasse un grand feu ici et qu'on me laisse seul avec la
princesse. Si Dieu veut je la guérirai.
– À la bonne heure », dit le
roi.
On fit le feu, il fit le fou ! Et la
fille qui le regardait n'arriva pas à se retenir. Elle rit, elle
rit, et l'arête lui jaillit du gosier ! et le paysan bondit hors de
la salle ! « Sire, Sire, voici l'arête de votre fille... Je
suis sauvé !
– Elle est guérie, dit le roi. Puis,
après un silence : Vous êtes un grand médecin et je vous garde en
mon palais. Vous aurez tout ce qu'il vous faut.
– Non, Sire, je vous prie ; je désire
retourner chez moi.
– Non, Maître, je vous prie, je
désire vous garder chez moi.
– Mon travail m'attend, Sire. Quand
je suis parti hier, je devais porter le blé au moulin pour être
battu. Il n'y a plus une once de farine chez nous.-–
– Pour être battu ? dit le roi. Il
fit signe à ses deux sergents : - Qu'on me le batte »,
soupira-t-il.
Quand le vilain, une nouvelle fois,
ressentit lui-même ce qu'il avait fait ressentir à sa dame, de haut
en bas, de bas en haut, jusque par-dessus les oreilles et par-dessous
le bas du dos, il se trouva bien fou de le supporter. « Grâce,
Sire, je reste.
– À la bonne heure », dit le
roi.
Le paysan, donc, est obligé de rester
à la Cour, dans le château. On le rase, on le tond, on lui passe la
robe rouge ; il respire un peu... Mais les malades du pays ont appris
la guérison ; ils accourent, ils assiègent le roi. Le roi médite
en lui-même : « C'est juste », pense-t-il. Il appelle le médecin
:
– Vous les entendez, Maître, dit-il.
Prenez soin de ces gens-là, je vous prie. Guérissez-les.
– Grâce, Sire. Ils sont trop, je ne
pourrai jamais les soigner tous.
– Dommage », dit le roi.
Il fait signe à ses deux sergents qui
arrivent déjà avec un bâton.
« Qu'on me le ba.... commença le
roi.
– Grâce, Sire, je vous les guérirai,
si Dieu le veut.
– À la bonne heure, dit le roi.
– Que l'on fasse un grand feu ici,
cria le vilain, et que tous les bien portants quittent la salle avec
vous, Sire. Je dois rester seul avec les autres. » On fit le
feu, il ne fît pas le fou, il parla aux malades : « Par le
Dieu qui m'a créé, je ne peux pas vous guérir tous, leur dit-il,
la somme des maladies est trop forte et vous n'êtes pas assez
résistants. Voilà donc ce que je vais faire. Je brûlerai dans ce
feu le plus malade d'entre vous et quand il sera brûlé en entier,
tous les autres n'auront qu'à absorber un peu de ses cendres pour
être purifiés et fortifiés. Après ils n'auront plus qu'à rendre
grâces à Dieu, ils seront guéris. »
Les malades s'entre-regardent,
cherchant le plus atteint ; chacun sent bien que ce n'est pas lui ;
aucun ne l'avouerait, même si on lui donnait tout le pays normand ;
aucun n'a plus rien.
« Tu brûles de fièvre, toi, dit
le vilain, tu es certainement le plus mal.
– Mais pas du tout, Maître, vous
m'avez soulagé si vite. Un mal dont j'ai pu souffrir si longtemps.
Je suis guéri.
– Éh bien, alors, sauve-toi.
Qu'est-ce que tu fais encore ici ? Porte-toi bien, mon brave. »
Le brave repasse la porte et dit au roi
qui lui demande s'il va un peu mieux :
« Et comment, Sire ! Je suis plus
sain qu'une pomme. Ah ! vous avez un médecin, un médecin... »
Ai-je besoin de vous dire la suite,
Messieurs et Mesdames qui m'écoutez si fort ? Il ne resta pas un
malade, petit ou grand, pas un. La vue d'un beau grand feu est très
revigorante sans doute puisque tous s'en allèrent en disant qu'ils
étaient sauvés.Le roi était aux anges, ébahi d'admiration :
« Comment donc avez-vous pu agir
si vite, mon doux Maître ?
– Éh bien, Sire, je les ai charmés,
oui, charmés. Je connais un charme plus puissant encore que le
gingembre et la cannelle. Le plus puissant de tous sur la vie des
hommes.
– Ah ! dit le roi. Vous aurez tout ce
que vous voudrez, de l'argent, des chevaux, des troupeaux, et mon
amitié si vous la voulez aussi, mon estime la plus haute en tout
cas. » Le roi sourit avec douceur :
« Mais ne m'obligez plus à vous prier
par des coups de bâton, mon ami. J'ai scrupule de frapper quelqu'un
comme vous.
– Sire, Sire, merci, dit le vilain.
Vous n'aurez pas besoin. Je suis tout vôtre maintenant et je le
serai tant que je vivrai ; je crois que jamais plus je n'oublierai ce
qu'il faut faire. »
Il retourna chercher sa femme, et en
effet tous les témoins assurent qu'il l'aima et qu'il la chérit
jusqu'à sa mort, sans la battre, sans la frapper. C'est elle, en
fait, qui lui avait donné sa science et ses diplômes.
Quels points communs
relèves-tu dans ces deux œuvres ? Quels sont les éléments que
Molière a emprunté à ce fabliau du XIIIe siècle ? Note au moins trois éléments de réponse dans ton cahier.
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